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Quelles différences entre les syndicats agricoles ? FNSEA, Coordination rurale, Confédération paysanne…

Pour la deuxième fois cette année, les syndicats agricoles appellent à la mobilisation pour faire pression sur l’exécutif. Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), Jeunes Agriculteurs (JA), Confédération paysanne, Coordination rurale : tous semblent d’accord pour rejeter l’accord de libre-échange négocié entre l’Union européenne (UE) et les pays du Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay et Bolivie).
Mais ils diffèrent sur les actions à mener. La FNSEA et les JA ont lancé le mouvement, lundi 18 novembre, avec 85 manifestations à travers la France, alors que la Coordination rurale a appelé, mardi, à des actions plus radicales, comme le blocage du fret alimentaire.
Siégeant dans les chambres d’agriculture des départements et des régions, ces syndicats aux intérêts pas toujours convergents jouent un rôle important dans le pilotage de l’agriculture française, malgré un déclin de leur représentativité : en 2019, la participation aux élections professionnelles a été historiquement faible (28,5 % dans l’ensemble des collèges, et 46,4 % chez les chefs d’exploitation).
Les prochaines élections dans les chambres d’agriculture, qui se dérouleront du 15 au 31 janvier 2025, pourraient modifier les équilibres entre les syndicats représentatifs. Tour d’horizon de leur histoire et de leurs revendications.
Syndicat majoritaire dans le monde agricole depuis sa création, après-guerre, la FNSEA a récolté 55 % des voix en 2019 dans une liste commune avec les Jeunes Agriculteurs.
Née en 1946, la FNSEA est d’abord une branche de la Confédération générale de l’agriculture (CGA), créée après la seconde guerre mondiale, « avec le souci d’écarter les responsables agricoles qui se sont compromis avec le régime de Vichy », relate Véronique Lucas, sociologue rurale à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae). La CGA, pensée comme un modèle de syndicat unique, s’essouffle en quelques années, permettant à la FNSEA – « vite réinvestie par une partie de ceux qui ont collaboré » avec Vichy, selon la spécialiste – de devenir l’organisation dominante.
Le syndicat va rapidement devenir le « cogestionnaire » de l’agriculture française. Les lois de modernisation de 1960 et 1962 « ont été coélaborées entre les pouvoirs publics et le syndicalisme », explique la sociologue.
Syndicat unique jusqu’à la création du Modef, en 1959, puis premier syndicat, la FNSEA est à l’origine du « mythe de l’unité paysanne », en dépit des inégalités du secteur et de fortes dissensions au sein des fédérations départementales (FDSEA). A la fin des années 1980, cette image d’un syndicalisme agricole uni se fissure.
La FNSEA conserve sa place privilégiée auprès du pouvoir et dans les organismes « parapublics », se présentant comme « l’interlocutrice légitime des pouvoirs publics ». Elle contrôle la quasi-totalité des chambres d’agriculture, dont le rôle est central dans le développement du secteur, l’accompagnement et le conseil aux agriculteurs. Le mode de scrutin majoritaire aux élections professionnelles leur assure une surrepreprésentation dans la gouvernance et une assise financière.
Le syndicat contrôle aussi une grande partie de la presse professionnelle agricole (60 % des titres en 2013), parfois hébergée dans les chambres d’agriculture. « Les élus peuvent orienter la ligne éditoriale, ce qui leur a donné un moyen d’influence important sur la profession », détaille la chercheuse.
Outre 212 000 adhérents, la FNSEA revendique trente et une fédérations de producteurs. Ces « associations spécialisées », comme la Fédération nationale bovine, contribuent à ses finances et lui permettent de mener d’importantes activités de représentation d’intérêts (lobbying) en France et dans l’UE. Il s’agit du seul syndicat considéré aussi comme une organisation patronale. Enfin, la FNSEA dirige le Conseil de l’agriculture français.
Depuis 2023, le président de la FNSEA est Arnaud Rousseau. Chef d’une exploitation céréalière de plus de 700 hectares, il préside aussi le conseil d’administration du groupe agro-industriel Avril (qui produit les huiles Lesieur et Puget) et a pris la tête, en 2017, de la Fédération française des producteurs d’oléagineux et de protéagineux, l’une des associations spécialisées de la FNSEA.
Le syndicat prône une agriculture productiviste, intensive et mécanisée, conquérante sur les marchés français et à l’étranger. Deux patrons de la FNSEA ont eu des portefeuilles dans des gouvernements de droite : François Guillaume, ministre de l’agriculture sous Jacques Chirac, et Michel Debatisse, secrétaire d’Etat aux industries agricoles et alimentaires, sous Raymond Barre.
Le syndicat s’est historiquement opposé à certaines mesures de protection de l’environnement, comme la réduction de l’usage des pesticides, ou l’interdiction du glyphosate.
Au début de la crise actuelle, la FNSEA était l’unique invitée du gouvernement. Parmi ses revendications (communes aux JA) figurent la juste rémunération des agriculteurs à travers le versement immédiat des aides de la politique agricole commune (PAC), des indemnisations et des aides spécifiques et l’application « pleine et entière » des lois EGalim (2018) – favorisant l’équilibre des relations commerciales dans les secteurs agricole et alimentaire. Elle exige un allégement des normes administratives et environnementales : suppression des zones de non-traitement (ZNT) aux produits phytosanitaires, moratoire sur certaines interdictions… L’organisation se dit contre les accords de libre-échange entre le Mercosur et l’UE.
Syndicat agricole représentant les intérêts des agriculteurs de moins de 38 ans, les JA ont récolté 55 % des suffrages exprimés lors des élections des chambres d’agriculture en 2019 (avec la FNSEA).
Créé en 1957 sous le nom de Centre national des jeunes agriculteurs, les JA sont le deuxième syndicat agricole. Ils font systématiquement liste commune avec la FNSEA, avec qui ils partagent la plupart des orientations politiques.
Ils se différencient par leur « rôle de sociabilité important », explique Véronique Lucas : « Quand vous êtes jeune installé, il se peut qu’il y ait peu de gens de votre âge dans la commune. Cela en fait une organisation privilégiée pour permettre à des jeunes de sortir de leur isolement. D’ailleurs, on voit des gens qui font leur passage aux JA mais qui ne continuent pas en FDSEA, parce qu’ils ne partagent pas tant que ça les orientations politiques de ces dernières. »
Son président est Pierrick Horel, un éleveur bovin de 33 ans installé en Saône-et-Loire.
Ce syndicat a historiquement milité pour le renouvellement des générations d’exploitants, ainsi que pour la mécanisation et l’industrialisation. Productivistes, les élus des JA défendent un modèle d’agriculture « intensif », à l’instar de la FNSEA. Ils ont néanmoins des différends réguliers avec celle-ci.
Dans la crise actuelle, les JA soutiennent les mêmes revendications que la FNSEA : application rigoureuse de la loi EGalim, paiement inconditionnel des aides de la PAC, soutien pour les secteurs en crise, baisse de la fiscalité sur le gazole non routier, la fin du traité UE-Mercosur, le retrait des normes environnementales, etc.
Ils militent aussi pour des aides à l’installation plus importantes et pour un meilleur accès au foncier dans un contexte où les terres laissées par les agriculteurs partant à la retraite sont souvent accaparées par des exploitants déjà installés.
La Coordination rurale (CR) est née en 1995, à la suite d’une association créée à la fin de 1991. Elle a obtenu 21 % des suffrages en 2019.
Fondée par trois agriculteurs du Gers, en réaction à la réforme de la PAC en 1992, la Coordination rurale, opposée à la FNSEA, est généralement située à droite, voire à l’extrême droite. En parallèle des classiques revendications économiques, la CR défend l’identité paysanne, qu’elle estime menacée. Elle parle dès 1993 de « génocide paysan » en raison de la réduction de la population agricole, et invoque des enjeux de « civilisation ».
Coutumiers de méthodes violentes, voire illégales, certains sympathisants de la CR cultivent une proximité avec l’extrême droite. « Il y a une stratégie, du côté de l’extrême droite, [qui consiste à] essayer de préempter la base sociale de la Coordination rurale, parce qu’elle leur apparaît comme ayant une proximité idéologique », décrypte Véronique Lucas. A l’instar de Serge Bousquet-Cassagne, à la tête de la section du Lot-et-Garonne, qui avait été tenté par une candidature aux européennes de 2024 sur la liste du Rassemblement national (RN) – son fils s’est présenté en 2013 sous la bannière de ce parti. Frappé par la limite d’âge, l’agriculteur de 64 ans ne pourra pas se présenter aux prochaines élections à la chambre d’agriculture.
D’inspiration poujadiste, le syndicat s’oppose globalement aux traités de libre-échange, qu’il estime source de concurrence déloyale, ainsi qu’aux normes et aux réglementations, comme le résume le slogan de sa section départementale du Lot-et-Garonne (« Foutez-nous la paix, laissez-nous travailler »). Le syndicat n’a pas hésité, en 2004, à soutenir Claude Duviau, un agriculteur qui avait assassiné deux inspecteurs du travail lors d’un contrôle sur son exploitation, en Dordogne.
« Antiécolo », la Coordination rurale rejette de nombreuses mesures de protection de l’environnement, comme la réduction de l’utilisation des pesticides ou la mise partielle en jachère des terres, et elle soutient les grandes retenues d’eau (dites « mégabassines ») pour irriguer lors des sécheresses. En revanche, à la différence de la FNSEA, elle ne défend pas un accès inégalitaire aux réserves d’eau et elle a permis, dans les départements où elle est majoritaire, un accès aux petits irrigants, ce qui lui permet d’attirer les déçus du syndicat majoritaire.
Lors du mouvement de janvier 2024, la CR s’est concentrée sur le volet économique : boucliers tarifaires sur le gaz, le gazole non routier (GNR) et l’électricité, détaxation totale du GNR, des droits de succession sur les exploitations et du foncier non bâti, défense de prix rémunérateurs par le contrôle de la production européenne. Elle défend aussi « l’arrêt de la marche forcée vers le bio », la sortie des élevages de la directive sur les émissions industrielles, l’affaiblissement des normes sur le bien-être animal et le renoncement à la baisse des effectifs d’animaux prévue par la stratégie nationale bas carbone.
La Confédération paysanne (CP) a représenté 20 % des suffrages exprimés lors des élections des chambres d’agriculture en 2019.
Créée en 1987 par le rapprochement de deux courants dissidents nés au sein même de la FNSEA, la Confédération paysanne est généralement située à gauche, même si sa base est diverse. On y trouve deux types de sympathisants, selon Véronique Lucas : d’un côté, « les gens des petites exploitations qui se sentent fortement marginalisés par les politiques agricoles », et de l’autre « ceux engagés sur des formes plus écologiques d’agriculture, dont une partie n’est pas issue du milieu agricole à l’origine ».
La CP n’étant pas majoritaire au sein des chambres d’agriculture, le dialogue avec les pouvoirs publics dépend beaucoup du gouvernement en place.
La Confédération paysanne s’oppose au libéralisme et au productivisme promus par la FNSEA et les JA. Très critique de l’agriculture intensive, le syndicat défend la paysannerie et une agriculture respectueuse de l’environnement. Elle s’oppose aux « mégabassines », aux exploitations de très grande taille, aux traités de libre-échange qui mettent en concurrence les agriculteurs de différents continents, ainsi qu’à l’utilisation massive des pesticides.
Dans le mouvement actuel, la CP fait entendre sa voix en demandant des revenus décents pour les agriculteurs et l’interdiction d’achat « en dessous du prix de revient des produits agricoles », mais aussi « la régulation des marchés (y compris en Europe) » et « la maîtrise des volumes ». Elle dénonce les profits des centrales d’achats et de la grande distribution, et s’inscrit en opposition aux « demandes productivistes et à court terme de la FNSEA », notamment sur les normes environnementales, qu’elle estime « protectrices pour notre santé, nos droits sociaux et notre planète ». Elle demande, en revanche, un allégement des normes purement administratives.
Le Mouvement de défense et de coordination des exploitations familiales (Modef) est un syndicat agricole minoritaire, qui n’a récolté que 1,3 % des suffrages en 2019.
Antérieur à la Coordination rurale et à la Confédération paysanne, le Modef a longtemps été la seule organisation d’opposition présente aux élections professionnelles au niveau national. Créé en 1959, il est issu de dissidences au sein de la FNSEA. « Plusieurs FDSEA du Sud-Ouest se disaient non alignées avec la FNSEA, une partie de leurs bases ont rejoint le Modef à sa création par le Parti communiste », explique Véronique Lucas.
Les dirigeants du Modef appartiennent surtout à la gauche communiste et socialiste. Dans les années 1970 et 1980, ils ont concurrencé la FNSEA aux élections professionnelles dans plusieurs départements du Sud-Ouest. Ils ont aussi su composer avec des FDSEA plus proches de leur ligne pour avoir accès au pouvoir, qui leur accordait peu de place.
Aujourd’hui, les scores du Modef sont beaucoup plus faibles, et il fait désormais souvent liste commune avec la Confédération paysanne. Pierre Thomas, un éleveur de l’Allier, préside le syndicat depuis 2019.
Le Modef se positionne comme défenseur des petites et moyennes exploitations familiales. Il s’oppose à la concentration des terres, à la spéculation et à la concurrence mondialisée. Il revendique une juste rémunération des paysans à travers le contrôle des marchés et l’établissement de prix minimaux garantis.
Ses membres demandent un plafonnement des aides de la PAC et l’arrêt des négociations commerciales (Tafta, CETA, Mercosur, etc.). Ils souhaitent encadrer les marges « de la grande distribution, des transformateurs et de l’agroalimentaire ».
L’organisation se dit favorable à la détaxation des carburants. Opposé aux « mégabassines » et à l’irrigation pour les produits d’exportation, le Modef prône le développement de la polyculture, de l’élevage et le renforcement des aides à l’installation.
En janvier, le Modef demandait en priorité des prix minimaux garantis par l’Etat pour donner aux agriculteurs « un revenu de base décent », considérant qu’en comparaison « toutes les autres mesures annoncées deviennent dérisoires », comme le résume Raymond Girardi, vice-président du syndicat.
Correction, le 20 novembre à 17h15 : actualisation du nom du président des Jeunes agriculteurs, qui a changé en juin.
Raphaëlle Aubert et Gary Dagorn
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